Les peuples autochtones sont des gestionnaires fidèles de la nature et de la biodiversité
On estime à 370 millions le nombre de peuples autochtones vivant dans plus de 90 pays à travers le monde.[1] De nombreux territoires dans lesquels vivent les peuples autochtones contiennent des écosystèmes déterminants qui possèdent une grande partie de ce qui reste de la biodiversité et des forêts de la Terre. Ces mêmes écosystèmes, et les ressources qu'ils contiennent, sont essentiels pour l'atténuation et l'adaptation au changement climatique ainsi que pour les moyens de subsistance et la survie des peuples autochtones.[2]
Les PA, les systèmes traditionnels de gestion des ressources naturelles et les connaissances écologiques traditionnelles ont également été reconnus comme une source importante de résilience et d'adaptation, notamment par le récent RE5 du GIEC et un certain nombre de décisions de la COP de la CCNUCC, notamment l'accord de Paris et les décisions de Cancun et de Varsovie, le document final de la Conférence mondiale sur les peuples autochtones (WCIP) et la plupart des agences de développement des Nations Unies, qui ont établi des politiques spécifiques aux peuples autochtones.
Les peuples autochtones et les communautés locales jouent un rôle essentiel dans la protection des forêts, des savanes boisées et dans la prévention des changements d'utilisation des terres et de couverture terrestre, deux éléments importants pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Les terres des peuples autochtones et des communautés locales détiennent près de 300 milliards de tonnes métriques de carbone, soit 33 fois les émissions énergétiques mondiales en 2017. Ils gèrent au moins 22% du carbone total trouvé dans les forêts tropicales et subtropicales.
Bien que les peuples autochtones et les communautés locales gèrent directement plus de 50% des terres du monde, ils n’ont légalement les droits de propriété que sur 10%.[3] Cet écart rend ces terres vulnérables aux menaces de la production agro-industrielle, des pratiques minières et forestières destructrices et des développements d'infrastructures à grande échelle. Reconnaître leurs droits est donc essentiel pour atteindre les objectifs essentiels de l'accord de Paris, les ODD et les objectifs mondiaux de restauration des forêts, et protéger 30% de la terre d'ici 2030.
Les droits des femmes autochtones et communautaires - qui jouent un rôle important en tant que dirigeantes, gestionnaires forestières, pourvoyeuses économiques et transmetteuses de savoirs et de cultures traditionnels - ne bénéficient d'aucune protection juridique adéquate. Il est nécessaire de ventiler les données sur les effets différenciés du changement climatique sur les peuples autochtones en général et les femmes autochtones en particulier.
Empreinte carbone la plus faible, mais payant double les impacts du changement climatique
Les PA de toutes les régions ressentent déjà les impacts du changement climatique et y sont parmi les plus vulnérables en raison de leur forte dépendance à l'égard des ressources naturelles pour leur subsistance. Bien qu’historiquement ces communautés se soient toujours adaptées, la hausse soudaine du niveau de la mer, les changements dans les saisons de culture et des conditions météorologiques irrégulières ont créé des problèmes qui nécessitent une assistance technique et financière.
Le changement climatique a donc aggravé une situation déjà mauvaise, associée à la marginalisation historique des PA dans les pratiques de développement, les niveaux de pauvreté élevés, le faible niveau d'alphabétisation et une représentation faible/médiocre dans les structures de gouvernance et de prise de décision, affectant négativement le bien-être et les moyens de subsistance des peuples autochtones ainsi que leurs cultures et leurs identités.
En fin de compte, les peuples autochtones paient un « prix négatif double » pour le changement climatique - ils souffrent des effets néfastes directs du changement climatique, ainsi que des prises d’actions ou de mesures non garanties pour empêcher le changement climatique de se produire ou de se développer davantage.
La sécurisation des droits fonciers, pour les PA, donne un sens à l'atténuation et à l'adaptation au climat
La recherche montre que lorsque les PA/CL ont des droits légalement reconnus et exécutoires, tant la déforestation que les émissions de carbone peuvent être considérablement inférieures par rapport aux zones situées en dehors des forêts communautaires. En outre, les preuves suggèrent que les systèmes communautaires de gestion des prairies, tels que les systèmes pastoraux et agro-pastoraux migratoires, ont tendance à soutenir un stockage du carbone plus important que les modèles d'élevage en ranch ou sédentaires.[4] Par conséquent, la sécurisation des droits fonciers des PA constitue l'une des solutions les plus rentables et les plus équitables pour atteindre les objectifs ambitieux de l'accord de Paris, qui appelle toutes les parties à poursuivre des actions sur la base de l'équité et dans le contexte du développement durable et des efforts pour éradiquer la pauvreté (CCNUCC, article 4.1).[5]
La subsistance et les pratiques coutumières de nombreux peuples autochtones dépendent fortement des forêts et des ressources forestières. Celles-ci comprennent la pratique de la chasse-cueillette de subsistance et du pâturage, y compris l'accès à l'eau, au bois de chauffage et à la médecine indigène, entre autres avantages. Ce sont des activités essentielles de production de moyens de subsistance des peuples autochtones qui contribuent à leur sécurité alimentaire. En même temps, ce sont des formes importantes d'utilisation des terres et de pratiques de gestion forestière utilisées par de nombreuses communautés locales et autochtones qui contribuent à la gestion durable des forêts.
Se concentrer uniquement sur la protection de l'environnement et la conservation des forêts sans comprendre et reconnaître les contributions des peuples autochtones à travers leurs pratiques traditionnelles d'utilisation et de gestion des forêts (y compris les connaissances traditionnelles) pourrait encore plus marginaliser et saper les moyens de subsistance traditionnels des peuples autochtones. D'autre part, la REDD+ peut également contribuer à reconnaître la valeur des systèmes de connaissances traditionnelles pour la gestion des forêts et renforcer la capacité des peuples autochtones en ce qui concerne la conservation à long terme et la gestion durable des forêts.
Sécurité foncière dans le contexte de la politique des peuples autochtones du FVC
La place et le rôle essentiels du régime foncier, des territoires et de la sécurité des ressources naturelles dans la survie et l'identité culturelle des peuples autochtones du monde sont au cœur de la politique des PA. En outre, la restriction implicite que l’insécurité foncière impose aux efforts des PA pour participer et bénéficier des initiatives de développement, y compris des actions contre le changement climatique, est clairement soulignée.
La centralité de la propriété collective des terres, des territoires et des ressources naturelles, y compris des zones qui revêtent une importance particulière pour le groupe des PA, comme les sites sacrés pour soutenir la façon dont les PA voient et vivent le monde, est reconnue dans les objectifs politiques, dans le champ d'application et dans ses principes clés.
En tant que tel, l'un des objectifs de la politique aspire à « Promouvoir et respecter les droits des peuples autochtones à posséder, utiliser, développer et contrôler les terres, territoires et ressources qu'ils possèdent en raison de la propriété traditionnelle ou d'une autre occupation ou utilisation traditionnelle, ainsi que ceux qu'ils ont acquis par ailleurs »[6]
En ce qui concerne la portée de l'application de la politique, celle-ci adopte les critères de présence, d'attachement collectif ou de droit aux zones où les activités financées par le FVC seront appliquées, zones dans lesquelles les PA « ont perdu l'attachement collectif aux habitats distincts ou aux territoires ancestraux dans la zone du projet en raison de rupture forcée, de conflits, de programmes de relocalisation du gouvernement, de dépossession de leurs terres, de catastrophes naturelles ou de l’incorporation de ces territoires dans une zone urbaine », comme l'un des déclencheurs pour appliquer la politique (§ 17 p. 5).
Par conséquent, ce lien avec la terre, la culture et la spiritualité est incorporé dans les dispositions de garanties proposées et inscrites dans la politique, y compris les Plans des peuples autochtones (PPA) » et la relocalisation involontaire.[7] Les PPA, par exemple, soulignent les actions pour minimiser et/ou compenser les impacts négatifs et identifier les opportunités et les actions pour améliorer les impacts positifs d'un projet pour les peuples autochtones d'une manière culturellement appropriée.
L'un des principes directeurs sur lesquels la politique de PA est ancrée est l'application et le respect du consentement libre, préalable et éclairé (CLIP) chaque fois que l'on envisage des activités financées par le FVC qui affecteront les terres, territoires et ressources des peuples autochtones, leurs moyens de subsistance et leurs cultures ou qui nécessitent leur relocalisation.[8]
La politique de PA du FVC stipule donc que toutes les activités du FVC respecteront et soutiendront pleinement les droits des peuples autochtones liés à la terre, aux territoires et aux ressources, ainsi que les droits liés au patrimoine et aux valeurs culturels et spirituels, aux savoirs traditionnels, aux systèmes et pratiques de gestion des ressources, aux occupations et aux moyens de subsistance, aux institutions coutumières et au bien-être général.
La politique exige que les entités accréditées i) documentent les efforts pour éviter et éventuellement minimiser les impacts ; ii) identifient et examinent tous les intérêts fonciers, les accords fonciers et l'utilisation traditionnelle des ressources avant l'achat ou la location ; iii) veillent à ce que les PA touchés soient informés et comprennent leur situation foncière, la portée et la nature des activités proposées pour le financement du FVC et leurs impacts potentiels.[9]
Dans toutes ces activités, il faut tenir compte de l'égalité des sexes et en particulier de la prise en compte du rôle des femmes dans la gestion et l'utilisation des ressources du FVC pendant la mise en application du projet.[10]
Lorsque les activités financées par le FVC impliquent une utilisation commerciale des terres, des territoires et des ressources des PA, la politique accorde aux PA le droit à une part équitable des bénéfices découlant de l'utilisation commerciale, à demander une compensation ou à accéder à des possibilités de développement qui compenseraient les pertes que le projet occasionnerait. Ces droits comprennent le droit d'être consulté et de consentir au montant et à la qualité des compensations, y compris aux moyens de subsistance alternatifs.
Pour les terres sous occupation traditionnelle ou usage coutumier, sans reconnaissance juridique, les entités accréditées sont encouragées à travailler avec les PA et leurs gouvernements nationaux pour proposer un plan de reconnaissance juridique de ces droits conformément à la législation nationale et aux traités internationaux ainsi qu'aux traditions et aux systèmes de propriété foncière des PA. En outre, la politique s'engage à prioriser les efforts visant à éviter la relocalisation involontaire, la réinstallation ou le déplacement loin des terres coutumières des PA.
La politique s'engage à mettre à la disposition des entités accréditées des ressources pour un soutien technique ou financier afin de faciliter les efforts vers la reconnaissance des régimes fonciers coutumiers ou traditionnels, la protection des connaissances traditionnelles et le renforcement des capacités des PA, des femmes et des PSH à participer et à s'engager dans des activités financées par le FVC pour la préparation de plans et de stratégies, y compris celles relatives aux terres, aux territoires et aux ressources naturelles.[11]
La politique de PA du FVC aspire donc à contribuer aux efforts de promotion et de respect des droits fonciers, territoriaux et des ressources des peuples autochtones dans le contexte des activités financées par le FVC.
Traduire les gains en politique en progrès positifs dans les moyens de subsistance sur le terrain
- Analyse de la situation autodéterminée des terres, des territoires et des ressources naturelles des PA, y compris de leurs occupations traditionnelles, des terres qui ont des valeurs culturelles et spirituelles (eaux sacrées, montagnes, arbres, rochers, lieux de sépulture) et de la langue, de la tradition, de l'identité ou des aspects cérémoniels de votre culture… revendications pour les violations préexistantes et les droits fonciers en suspens.
- Développer une connaissance approfondie et une meilleure compréhension de la politique de PA, y compris du mécanisme de sauvegarde intégré et des entités impliquées.
- Apprécier l’importance et la dynamique de l’opérationnalisation des processus de CLIP au niveau communautaire, en particulier les dispositions en matière de prise de décision des groupes communautaires autochtones qui devraient être engagées par l’AND[12] et les entités accréditées pendant la mise en application du projet.
- Développement d’un consensus parmi les groupes de PA sur ce que les approches « culturellement appropriées » impliquent dans le contexte de la propriété foncière et des ressources naturelles.
- Engagement proactif avec les acteurs concernés tout au long de la chaîne de mise en application du FVC - les entités accréditées[13], les AND, le Secrétariat et le Conseil du FVC, y compris les panels indépendants si nécessaire et l'institution directement mandatée pour la mise en application de la politique de PA.
- Maintenir l'engagement avec le Comité consultatif des peuples autochtones auprès du FVC (CCPA), pour suivre les tendances émergentes et fournir des boucles de rétroaction sur la mise en application de la politique.
- Identifier les experts des peuples autochtones et faire pression pour qu’ils soient inclus dans la liste d’experts du FVC afin de conseiller et d’influencer la famille FVC par le biais de ses groupes d'experts indépendants et de ses organes consultatifs.
- S'engager de manière proactive avec l'autorité nationale désignée/le responsable de la coordination au niveau national et les entités nationales d'accès direct sur l'état de préparation du pays et le soutien préparatoire pour s’assurer que les priorités des PA en matière de changement climatique, y compris la sécurité foncière et les capacités renforcées de consultation, de plaidoyer et de mise en application et gestion du projet, soient reflétées et intégrées dans le développement du pipeline des projets/programmes du FVC du pays.
- Contribuer au suivi participatif et à l'établissement de rapports sur l'application de la politique pour façonner l'examen et l'itération ultérieurs de la politique de PA.
- Contribuer et façonner des instruments et des outils tels que le Plan des peuples autochtones (PPA), le Cadre de gestion des peuples autochtones (CGPA) et les cadres de politique de relocalisation afin d'assurer la bonne mise en application de la politique de PA et du SGES, et de prévenir tout impact négatif potentiel découlant des activités financées par le FVC.
Rédigé par: Kimaren ole Riamit, directeur exécutif, ILEPA. Possible grâce au soutien de la Fondation Tebtebba, septembre 2019
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[1] Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones (2009). State of the World’s Indigenous People [La situation des peuples autochtones dans le monde]. Département des affaires économiques et sociales, Nations Unies.
[2] Bureau des Nations Unies pour les services d'appui aux projets (UNOPS). Indigenous Peoples Funds Assessment [Évaluation des fonds des peuples autochtones], 11 octobre 2015
[3] FAO (2015) Achieving Scale: The Forest and Farm Facility’s Work Plan: Annual Steering Committee Meeting [Passage à l’échelle : Plan de travail du Mécanisme forêts et paysans : Réunion annuelle du comité directeur], 19-20 février 2015. FAO Rome
[4] RRI, Issue Brief 1: Indigenous Peoples and Local Community Tenure In the INDCS: Status and Recommendations [Dossier 1: Les peuples autochtones et la propriété foncière des communautés locales dans les CPDN : état et recommandations], avril 2016
[5] Ibid.
[6] Politique de PA du Fonds vert pour le climat, art. 11 g) p.4
[7] Cette expression désigne les déplacements physiques (réinstallation, perte de terres résidentielles ou perte d'abris), les déplacements économiques (perte de terres, de biens ou d'accès aux biens, y compris ceux qui entraînent une perte de sources de revenus ou d'autres moyens de subsistance), ou les deux, causés par l’acquisition de terres liées au projet ou les restrictions d'utilisation des terres;
[8] Politique de PA du Fonds vert pour le climat ((v) § 222 a, b)
[9] Ibid. § 58 & 59
[10]Ibid. § 11 (a) sur la politique des objectifs.
[11] Ibid. § 72
[12] Autorité nationale chargée de maintenir les relations et d'être le contact institutionnel avec le Fonds vert pour le climat au niveau national.
[13] Il s’agit d’une institution ou un organisme national ou international (une agence, une agence des Nations Unies, une ONG ou une banque internationale ou une autre institution financière) qui a obtenu l'accréditation pour pouvoir présenter des projets et accéder aux fonds du Fonds vert pour le climat.